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Ahmed Akkache : un militant d'exception (10 novembre 1926 - 8 octobre 2010 )احمد عكاش: مناضل استثنائي

Ecce Akkache, « Ils ne savent pas que les livres, à la fin des fins, resteront la dernière propriété de l’homme, propriété rarissime… Les révolutions commenceront plus que jamais dans les bibliothèques. » Kateb Yacine Il est déconcertant comme parfois, certains livres, qu’on croyait ensevelis sous la poussière de l’oubli, peuvent refaire surface et telle une étincelle, venir rallumer le feu à toute la plaine. Transcendant l’espace temps, ébranlant des générations futures. S’inscrivant alors dans l’intemporalité. D’ailleurs à travers les livres, tout comme dans la vie, il nous arrive de faire des rencontres extraordinaires ! Celle d’Ahmed Akkache est de cet acabit. J’ignorais encore tout de cet homme, quand j’ouvris le livre qui allait bouleverser la donne. Par lumières d’août, j’entamais le bouquin « Des Chemins et des Hommes » de l’historien Mohamed Rebah. D’emblée, la préface de Si Akkache me saisie…! Non seulement par la qualité du contenu historique condensé dans ces quelques lignes, mais aussi, par le style accrocheur, à la fois,simple, fort et percutant de sa plume ! Simple et non simpliste, j’insiste ! Celui d’un homme soucieux de partager ses idées, ses combats et ses luttes avec les masses. De cette préface, j’en sors convaincue d’une chose, que Si Akkache est un des témoins du siècle ! Je vais donc à sa recherche… ! Sur ce sentier menant à lui, je croise des hommes qui l’ont connu, côtoyé, des hommes qui l’ont aimé et admiré, et d’autres qui, coincés dans les marécages du passé, le confinèrent à la seule figure de combattant communiste pour la libération nationale. Certes, Akkache est un Moudjahid, même si le titre ne lui ait pas accordé officiellement. Mais il a poursuivi la lutte de bien des manières durant les 84 ans que la vie lui a offerte. - « L’œuvre militante la plus importante de Akkache, est celle contenue entre 1955-1957 ? m’a-t-on sans cesse répété. » Il s’agissait de son combat pour la libération nationale au sein du PCA, avec qui il finira par rompre, rejetant un leadership européen au sein du parti, qu’il percevait comme une entrave aux concepts même de : libération, liberté, révolution, pour lesquels il s’est vu condamné à mort en 1960. Un homme qui a toujours accordé ses faits à sa parole. Sa parole à ses idées. Son évasion des geôles françaises, est relatée dans son roman « L’évasion », préfacé par l’ami de leurs 20 ans, Kateb Yacine. Homme de fer, le surnommèrent ses bourreaux Français, pour caractériser sa volonté inébranlable face à la Question, à en finir avec la longue nuit coloniale. Il aura été un militant révolutionnaire. Le procès retentissant intenté aux communistes en 1960 peut en témoigner : « Laissez-moi vous expliquer cette contradiction apparente. Nous ne reconnaissons pas la nationalité française qu'on nous a imposée contre notre volonté. Nous sommes des Algériens et nous en sommes fiers. Nous combattons de toutes nos forces pour la liberté de l'Algérie et nous ne reconnaissons qu'un seul gouvernement, le G.P.R.A. Si nous devions être jugés, ce ne pourrait être que par le peuple algérien lui-même. Demain, nous nous expliquerons devant lui. Mais nous sommes réalistes, nous sommes vos prisonniers... » « Nous n'avons pas peur de reconnaître notre action. Vous nous appelez rebelles. Eh bien ! Oui, nous sommes rebelles au colonialisme. Oui, nous participons à la guerre de Libération nationale du peuple algérien. Nous aurions voulu pouvoir le dire en public. Mais, par contre, nous ne donnerons aucune explication sur les membres du Parti Communiste Algérien qui poursuivent en ce moment le juste combat clandestin sur le sol de l'Algérie. » Dès l’indépendance, il s’est attelé à un travail acharné pour écrire l’Histoire par « nous-mêmes », déconstruisant celle imposée par les colonisateurs d’hier, truffée de mythes et de mensonges. Il rédige « Tacfarina »s, « Les guerres paysanne de la Numidie », « La révolte des saints »… pour en finir avec le mythe de la Terra Nullius qui confine l’Histoire Algérienne à la seule parenthèse [1830-1962]. Il biffe cette parenthèse pour nous ramener plus en arrière sur le temps historique. Aux luttes de nos aïeux, ces moudjahidine de l’antiquité (pour reprendre une expression d’un ami), contre le colonisateur, cette fois-ci Romain ; nous dévoilant que la Numidie était le précurseur de ce qui allait devenir la Nation Algérienne. Aussi, il démontre que le colonialisme n’est pas une sordide anecdote de coup d’éventail, mais bien un système d’asservissement de l’homme par l’homme. Etait-ce suffisant ? L’Histoire écrite est féconde en mythes qui se réactivent constamment ! Avec « La résistance Algérienne de 1845 à 1945 », soit dix-sept années après celle menée par l’Emir Abdelkader, il insiste sur le fait que, le peuple Algérien a combattu avec acharnement le colon Français depuis la première heure de l’invasion, de manière constante: « A peine l’incendie semblait-il éteint quelque part qu’il se rallumait ailleurs, encore plus violent. A peine un combattant était-il tombé qu’un autre se levait à sa place. Pour finir en 1962 sous les you-you victorieux et les chants de l’indépendance. ». écrit-il en introduction à La résistance Algérienne. Mais encore ? Un autre champ de bataille lui tient à cœur. Celui des travailleurs et son souci permanent de leurs conditions de travail, auquel il consacrera le reste de sa vie. Il entreprend l’écriture de nombreux ouvrages sur les problèmes économiques rencontrés par l’Algérie, comme il milite au sein du Ministère du Travail pour l’amendement des droits des travailleurs. « Un jour, que je me promenais dans les librairies d’Alger-centre à la recherche de ses livres…Un homme m’entend demander au libraire s’il avait un livre de Ahmed Akkache. Il s’approcha de moi, et me demanda si j’ai bien dit Ahmed Akkache. Je réponds que oui. Ces yeux s’illuminèrent de mille feux, un bonheur habilla son visage ridé. Il se présenta à moi : Il s’agissait d’un ancien docker, et il ne tarissait pas d’éloge sur feu Akkache, m’assurant qu’il était un homme d’une gentillesse inégalable, d’une éloquence limpide : Un tribun. Il m’assura qu’il avait assisté à de nombreux meetings que Akkache venait faire chez les dockers, et qu’il n’y avait pas une conférence qui ne finissait sous les applaudissements de tous. Il ré-insista sur la bonté de Akkache en me disant qu’il ne renvoyait jamais aucune personne venant le solliciter. » Un Homme de fer ou bien un Homme en Or ?! En l’an XXXXXV, de l’Algérie libre, nous subissons toujours, dans une forme développée, la reconquête par la culture des ex-colonisateurs qui veulent et réussissent parfois à s’emparer des cerveaux des ex-colonisés, en remodelant l’Histoire à leur faveur. Dans ce contexte, les livres de Ahmed Akkache sont des armes aiguisées pour parer à cette enième tentative de conquête. « Ahmed Akkache a été de ceux qui luttent toute leur vie et qui sont irremplaçables, comme le déclamait si bien Bertolt Brecht. » Repose en Paix Si Ahmed 8_10_2017 Polygone étoilé

Kateb Yacine, le cœur entre les dents De Benamar Mediène Page 103. Casbah édition 2006

D’une belle voix de stentor, les lunettes embuées, de haute taille, un peu voûté, Ahmed Akkache, l’ami de longtemps, prononce l’Adieu. L’homme qui parle connait bien celui qui gît dans l’absence. Sa parole n’est pas moulée dans la syntaxe convenue. Il avoue qu’il sera nécessairement au-dessous du panégyrique, s’il en avait la volonté ou le désir de déclamer : « Ni Yacine ni moi-même n’avons été indulgents dans l’octroi de flatterie destinées aussi bien aux vivants qu’aux morts. Nous avons toujours ri de cette creuse et agaçante formule qui dit : «  Ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont ». Oui, nous riions de la gratuité suspecte du compliment en nous interrogeant : Pourquoi la mort rend-elle le mort exemplaire, alors qu’hier il n’était ni meilleur ni pire que vous et moi et, que vous et moi, sommes appelés sinon à un destin du moins à la même destination ?

Yacine aimait à répéter une maxime irlandaise disant : «  Les cimetières sont remplis de gens indispensable ». Oserais-je la prononcer ici devant vous, ô magnifique multitude ?

« Lui et moi, surtout moi, puisque encore vivant, bafouerions nous nos principes si j’ajoutais à ces monceaux de gerbes de fleurs d’autres, que je tresserais en phrases aussi longues que notre cortège. Je suis sûr que Yacine viendrait me taper sur l’épaule, agitant son index sous mon nez, en me chahutant d’un rigolard : Renégat ! L’éloge n’est pas dans ce que je dis, non ! Il est dans notre présence, dans notre nombre : il est dans cette ferveur  de silence et de clameur de ce Premier-Novembre dont on veut nous usurper et la gloire et la joie. Changeons, pour être dans l’esprit de Kateb, l’ordre des choses et laissons-le, lui-même  nous faire ses Adieux :

Bonjour, bonjour à tous ;

Bonjour mes vieux copains ;

Je vous reviens avec ma gueule

De paladin solitaire,

Et je sais que ce soir

Monterons des chants infernaux…

Voici le coin de boue

Où dormait mon front fier,

Aux hurluments des vents,

Par les cris de décembre ;

Voici ma vie à moi,

Rassemblée en poussière… »

Ahmed Akkache a raison. Kateb Yacine détestait les louanges. Surtout les dernières. A la mort de sa mère en 1980, il n’avait pas assisté à son enterrement. Il était resté auprès de M’hamed Issiakhem dans la maison de Bainem, aux pilotis frappées par les ressacs de la mer. Ils ont calligraphié et peint sur une toile une peinture-poème. Une femme en deuil de son enfant adulte, prise dans l’entrelacs des lettres syncopant le récit de l’ancêtre. J’ai hérité e ce tableau titré Femme sur Poème.

A la mort de M’hamed, Yacine n’est pas allé à El-Alya. Il est resté avec l’ami Younès Bouchek, psychiatre rabelaisien et massif comme un roc du Djurdjura, à la taverne du « Manchot » qui, ce jour-là, a tenu son bar ouvert et le tiroir-caisse fermé.

Aujourd’hui, on rince gratis ! a écrit le parton sur l’ardoise et, pour la circonstance, tous les arriérés furent effacés et amnistiés.

La voix d’Ahmed Akkache est claire et porte loin. Vieille habitude des meetings ouvriers. Discours affectif aux rythmes rompus par des expirations qui redonnent au silence son amplitude et, à chacun d’entre nous, sa part de compassion. L’instant dernier semble arrêté, enroulé sur lui-même, coagulé dans l’émotion retenue dans la poitrine.

 

 

 

 

Kateb Yacine, le cœur entre les dents  De Benamar Mediène  Page 103. Casbah édition 2006
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